samedi 9 août 2008

Jeux de dupes

mardi 20 mai 2008

Yves Cochet, Pétrole Apocalypse, Fayard, 2005

« La hausse du cours des hydrocarbures ne sera pas un simple choc pétrolier, ce sera la fin du monde tel que nous le connaissons. »

Au vu du prix actuel du pétrole, c’est-à-dire très bon marché, cet été sera peut-être une des dernières occasions pour beaucoup de s’offrir un voyage sur un long courrier. Personnellement, j’ai réservé un circuit en Egypte pour le mois de septembre, et il m’en a déjà coûté une surtaxe « carburant » de 51 euros sur le prix initial. Bien entendu, le vendeur m’a prévenu, ce n’est qu’un acompte. Qui sait à combien sera le baril d’ici septembre…


Cette situation ne me surprend guère. La lecture du livre d’Yves Cochet –publié en 2005, une éternité !- m’avait déjà sensibilisé sur l’imminence de la crise pétrolière dont la situation actuelle n’offre qu’un léger avant-goût. Les marins-pêcheurs, les Tour Operators, les taxis, les routiers ont vraiment beaucoup de souci à se faire... Mais après eux, ce sera à la société toute entière de trinquer à son tour. Car le fondement même de notre civilisation – et de la mondialisation – repose sur un pétrole bon marché. C’est cette page de l’histoire du monde qui est en train d’être tournée. Nous rentrons dans l’ère du pétrole cher, voir très cher. Et c’est un choc sans précédent, surtout si on l’additionne aux autres chocs à venir, climatique et démographique…


Voici ce qu’écrit Yves Cochet en 2005 :
« Une simple poursuite de la tendance à la hausse observable depuis 2002 entraînerait un cours du baril à 100 dollars en 2008 (nous sommes déjà à 120 !), à 200 dollars en 2011. Et à 300 dollars en 2015 (…). »

Pour Yves Cochet, cela ne fait aucun doute: nous sommes devant l’imminence du « Peak Oil » ou « Pic de Hubbert », c’est-à-dire le moment fatidique à partir duquel la production mondiale de pétrole commencera à décroître inexorablement, entraînant un bouleversement sans précédent de notre mode de vie car il n’existe à l’heure actuelle aucune alternative énergétique. Sans compter que changer prend du temps. Ce choc imminent marquera la fin de l’ère du pétrole bon marché, une période qui aura duré 150 ans. Yves Cochet place ce pic très tôt, d’ici à 2 ans seulement, en 2010… Qu’il ait tort ou raison sur la date exacte, il y a urgence à mobiliser nos sociétés sur cette problématique.


Car les conséquences seront désastreuses pour l’Humanité : décroissance de la mobilité des humains et des choses, hausse sans précédent des prix des denrées alimentaires, famines, guerres énergétiques (songez à l’Irak et au Darfour)…


Pour retarder et atténuer ce choc, le remède
est à la fois simple et utopique : sobriété et décroissance de la consommation et des échanges pour économiser le pétrole encore disponible de manière à nous laisser le temps de bâtir les sociétés de basse consommation énergétique de demain. Mais quel dirigeant pourrait se permettre de tenir un tel discours alors que tous nous vendent encore la mondialisation comme une chance pour la planète ? Autant dire que la catastrophe est inévitable…

« Le slogan qui résume la philosophie des transports actuels est : Plus vite, plus loin, plus souvent et moins cher. Dans moins de quinze ans, il sera nécessairement : Moins vite, moins loin, moins souvent, et plus cher. »

samedi 12 avril 2008

« Maman »

Les promeneurs du jardin des Tuileries ont de quoi être surpris. Une gigantesque araignée de bronze et d'acier domine de ses 9 mètres de haut le joli parc dessiné par Le Nôtre. Rassurez tout de suite vos enfants, c’est du provisoire, elle retrouvera bientôt l'ombre d'une collection particulière new-yorkaise. En attendant, le Centre Pompidou consacre jusqu’au 2 juin une exposition à sa créatrice Louise Bourgeois, une artiste française installée à New York depuis 1938. L’immense sculpture arachnéenne était tout simplement trop grande pour le musée d’art moderne.


Chose curieuse, pour Louise Bourgeois, qui fait des araignées monumentales depuis les années 90, cet animal est une figure bénéfique. Elle l’associe à l’image de sa mère, rassurante et protectrice, en opposition à celle de son père, tyrannique et volage, qu’elle détestait.

Pour en savoir plus en 1'44'' et en video, cliquez ici.

vendredi 11 avril 2008

Anselm le généreux

Je manque décidément à tous mes devoirs. Non seulement je n’alimente ce blog qu’épisodiquement mais j’omets en plus de commenter des infos majeures concernant le Louvre. Il en est ainsi du nouveau décor commandé à Anselm Kiefer, pourtant inauguré le 25 octobre 2007 et que j’évoquais déjà ici. Sans doute parce qu’il n’y a pas à s’insurger. Pour tout vous dire, je m’attendais à pire. Du genre de l’exposition Jan Fabre qui se tient en ce moment. Mais je vous en parlerai plus tard.

Cette commande s’inscrit dans la nouvelle politique qu’a le Louvre depuis 2003 en direction de l’art contemporain et qui a pour but de « donner un caractère officiel et patrimonial à la création contemporaine, de faire découvrir à un large public non initié les créations des artistes d’aujourd’hui et d’affirmer le caractère universel du musée. » Rien de moins.

"Athanor"

Anselm Kiefer, « artiste vivant de renommée internationale » comme le souligne ostensiblement le dossier de presse, l’a bien compris et a même généreusement livré trois œuvres pour le prix d’une. En effet, non content de réaliser un décor monumental (celui qu’on lui a demandé), l’artiste a en plus produit deux sculptures que je vous laisse admirer. Il faut savoir apprécier, bien sûr…

"Danaé"

"Hortus conclusus"

Pour ceux qui ne parlent pas latin ou qui cherchent le rapport avec la mythologie grecque, je vous renvoie au dossier de presse où la signification de chaque œuvre est doctement expliquée.

Quant au décor principal, il est empreint d’une forte symbolique alchimique (le titre « Athanor » désigne le nom du four permettant de fabriquer la pierre philosophale) et possède, comme souvent dans l’art contemporain, une dimension narcissique puisque l’artiste s’est représenté lui-même en homme couché faisant de la méditation.


Selon mes sources, cette bagatelle a tout de même coûté la somme de 600 000 euros dont 500 000 sont directement allés dans la poche de l’artiste. Mais que le contribuable se rassure: cela n’a rien coûté au Louvre (comme d’habitude) puisque tous les frais on été pris en charge par le mécénat d’AGF (qui affichait 2 milliards d’euros de bénéfices en 2006). Vous trouvez ça cher ? Pourtant, le Louvre a fait une très bonne affaire et un bon placement. Car Kiefer lui a fait un prix d’ami… Et oui, sur le marché de l’art, chacune de ces trois œuvres vaudrait à elle seule les 500 000 euros !

Les prochains artistes à intervenir au Louvre devraient être Cy Twombly pour le plafond de la salle des bronzes antiques (là, on parle d’au moins 2 millions d’euros) et François Morellet pour l’escalier Lefuel. Gageons qu’ils seront aussi généreux que Kiefer ! Allez, trois plafonds pour le prix d’un, payés par Bolloré, ça devrait être possible au royaume de Sarkozy !

samedi 22 mars 2008

Attention, week-end de Pâques !

Pour ceux qui auraient l'intention d'aller faire un tour au Louvre en ce week-end de Pâques qui s'annonce particulièrement mauvais, voilà à quoi ressemblait l'affluence dès vendredi matin ! Vous êtes prévenus, la saison est lancée. Le Louvre va-t-il franchir la barre des 9 millions de visiteurs cette année ? C'est possible... En tout cas, il devient difficile de trouver de bonnes conditions de visites dans cette Babel moderne. A noter: une très belle exposition sur "Babylone" justement. Dépêchez-vous d'aller la voir avant qu'elle soit blindée !

vendredi 15 février 2008

Le déni écologique

« La croyance dans la régulation des prix par le marché et la foi en la science et la technologie pour résoudre des problèmes « conjoncturels » d’accès à des ressources énergétiques bon marché constituent deux certitudes de la pensée libérale-productiviste, la plus communément partagée dans le monde d’aujourd’hui. La présentation de faits, de nombres, d’informations et de raisonnements qui les contredisent rigoureusement est rarement prise en considération par les gardiens de ces certitudes. Ceux-ci sont d’abord les économistes néoclassiques, qui règnent dans les universités et les médias, suivis par les chefs d’entreprise et la majorité des politiciens, deux groupes qui semblent devenir de plus en plus interchangeables, comme le montre la composition des gouvernements, et notamment les nominations au poste de ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie. Il est fait appel de façon croissante à des businessmen patentés pour prendre en charge ce ministère ou conseiller son occupant énarque. Réciproquement, les hauts politiciens retirés de la politique ou remerciés trouvent souvent de confortables replis dans quelque grande entreprise. Cet échangisme existe aussi au sein de la technocratie d’Etat (énarques, polytechniciens…), où il est banal de rejoindre le privé après des années de direction d’administration. Cette population est d’ailleurs remarquablement structurée, collectivement en groupes d’anciens élèves des grands corps, et individuellement en tant qu’esprit formés à l’organisation des personnes, des choses et des évènements. Formés à l’organisation, mais pas à l’observation. A la décision, mais pas à la science. L’histoire du changement climatique le montre à l’envi.
Alors que depuis plus de trente ans les scientifiques et les écologistes tentent d’alerter les milieux économiques et politiques sur les risques liés à l’augmentation de la concentration de gaz à effet de serre, il a fallu attendre l’année 2005 pour que le modeste Protocole de Kyoto entre en vigueur – sans parler du temps qu’il faudra pour qu’il s’applique réellement- et que le gouvernement français rédige un indigent « plan climat ». Le problème et sa solution sont pourtant étonnamment simples à exposer : le gaz carbonique émis par la combustion des fossiles étant le principal contributeur au changement climatique , il est indispensable de réduire celle-ci. Ce qui n’est pas fait. Car la science, la réalité chimique de l’atmosphère se heurtent frontalement aux croyances productivistes de nos dirigeants économiques et politiques, qui y opposent un déni tenace . Elles se heurtent aussi aux habitudes les plus banales de milliards d’individus dont la vie quotidienne repose sur des produits carbonés, depuis le carburant pour la voiture jusqu’aux médicaments et aux vêtement synthétiques. Nos gouvernants n’ayant pas agi à temps, nous connaîtrons des épisodes géophysiques extrêmes de plus en plus meurtriers. Ce sont nos propres enfants que notre mode de vie matériel met en danger de mort, et non ces abstraites « générations futures » sans cesse évoquées par nos dirigeants, notion impersonnelles et floue qui leur permet de repousser toujours à plus tard les décisions politiques radicales qui devraient être prises. »

Yves Cochet, Pétrole Apocalypse, Fayard, 2005, p. 119-121.

mardi 5 février 2008

Ayez confiance !

Le cauchemar européen

Malaise dans la démocratie

« La démocratie, c'est le gouvernement du peuple exerçant la souveraineté sans entrave. » Charles de Gaulle

Pour commencer, une petite devinette qui circule sur le Net :

« Le président A propose une nouvelle Constitution. Il la soumet au vote de son peuple.

Le président B propose aussi une Constitution. Dès qu'une partie du peuple a dit non, on cesse de voter. Un peu plus tard, la même Constitution est imposée. Sans vote. Qui est le démocrate ?
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Vous avez tout faux. Le premier président s'appelle Chavez, c'est donc un populiste et un dictateur. Le second s'appelle Sarkozy et l'Union Européenne, ce sont donc des démocrates. »

Poutine doit bien rigoler… Sa conception de la démocratie n’est pas si différente après tout. Honnêtement, je vois mal comment les Européens pourraient désormais lui faire la leçon.

Ainsi donc, le Traité de Lisbonne, la copie quasi-conforme du Traité constitutionnel européen, rejeté par les peuples Français et Néerlandais par referendum, est en passe d’être ratifié par tous les pays de l’Union, par voie parlementaire cette fois-ci (c’est plus prudent) sauf en Irlande. La France a révisé sa Constitution hier et le Parlement s’apprête à voter définitivement le texte. On dira ce qu’on voudra, mais en définitive c’est un mépris total de la souveraineté populaire. Il ne s’agit ni d’un « traité simplifié », ni d’un « mini-traité » comme annoncé par Nicolas Sarkozy, mais d’une vraie mascarade. Ce texte est même peut-être pire que le précédent. Voici ce qu’écrit Valéry Giscard d'Estaing dans un article du Monde :

« Dans le traité de Lisbonne, rédigé exclusivement à partir du projet de traité constitutionnel, les outils sont exactement les mêmes. Seul l'ordre a été changé dans la boîte à outils. La boîte, elle-même, a été redécorée, en utilisant un modèle ancien, qui comporte trois casiers dans lesquels il faut fouiller pour trouver ce que l'on cherche. (…)

Le texte des articles du traité constitutionnel est donc à peu près inchangé, mais il se trouve dispersé en amendements aux traités antérieurs, eux-mêmes réaménagés. On est évidemment loin de la simplification. Il suffit de consulter les tables des matières des trois traités pour le mesurer ! Quel est l'intérêt de cette subtile manoeuvre ? D'abord et avant tout d'échapper à la contrainte du recours au référendum, grâce à la dispersion des articles, et au renoncement au vocabulaire constitutionnel.

Mais c'est aussi, pour les institutions bruxelloises, une manière habile de reprendre la main, après l'ingérence des parlementaires et des hommes politiques, que représentaient à leurs yeux les travaux de la Convention européenne. Elles imposent ainsi le retour au langage qu'elles maîtrisent et aux procédures qu'elles privilégient, et font un pas de plus qui les éloigne des citoyens. »

Pour une fois, je suis d’accord avec VGE, l’Europe qu’on nous prépare va enthousiasmer les citoyens, c’est sûr…

Heureusement, il existe encore des hommes politiques courageux, capables de dénoncer cette dérive anti-démocratique :

« Si l'Europe reste la seule affaire des responsables politiques et économiques, sans devenir la grande affaire des peuples, reconnaissons que l'Europe sera, à plus ou moins brève échéance, vouée à l'échec.

Bien sûr, l'Europe doit être au service des peuples, chacun peut le comprendre. Mais l'Europe ne peut se construire sans les peuples, parce que l'Europe, c'est le partage consenti d'une souveraineté et la souveraineté, c'est le peuple. A chaque grande étape de l'intégration Européenne, il faut donc solliciter l'avis du peuple. Sinon, nous nous couperons du peuple.

Si nous croyons au projet Européen comme j'y crois, alors nous ne devons pas craindre la confrontation populaire.

Si nous n'expliquons pas, si nous ne convainquons pas, alors comment s'étonner du fossé qui risque de s'amplifier chaque jour davantage entre la communauté Européenne et la communauté Nationale ? »
Nicolas Sarkozy, le 9 mai 2004 au Conseil national de l'UMP à Aubervilliers.

Admirez sa force de conviction sur cette video !

Il est toujours triste de constater qu’en politique, tout le monde ment, tout le monde raconte n’importe quoi et que les textes européens qui s’accumulent depuis le traité de Maastricht ne cessent de restreindre les champs pour lesquels le peuple doit être consulté.

L’Europe est devenue folle, c’est une machine qu’il faut arrêter car elle menace la démocratie. Ceux qui croient encore que de ce traité sortira une Europe plus solidaire, plus sociale ou plus forte sur la scène internationale se trompent lourdement.

Avant d’imposer leurs choix ou leur vision du monde, les hommes politiques ont le devoir premier de défendre la démocratie et la souveraineté populaire. Au lieu de cela, nos députés et sénateurs réunis hier en Congrès à Versailles ont fait exactement l’inverse. Dès lors, ces gens ont cessé d’incarner la représentation nationale pour ne plus être que l’émanation de cette oligarchie européenne, dont le seul but est de garder le pouvoir. Quant à moi, plus jamais je ne voterai pour un de ces partis qu’on dit « de gouvernement ».

jeudi 31 janvier 2008

Peter Menzel, « Hungry planet », what the world eat , 2005

L’emploi ad nauseam d’expressions comme « mondialisation » ou « village global » nous ferait presque oublier qu’il existe toujours d’immenses disparités planétaires qui ne sont pas prêtes d’être comblées ! C’est ce que nous rappelle à sa manière le photographe Peter Menzel en braquant son objectif sur les pratiques alimentaires de nos contemporains aux quatre coins du monde. En tout, 30 familles visitées dans 24 pays différents. Le principe est simple : chaque famille est photographiée devant la nourriture qu’elle consomme en une semaine. La légende stipule la dépense que cela représente en dollars US. On mesure ainsi du premier coup d’œil à quel point les différences économiques sont aussi grandes que les différences culturelles. Mais aussi que l'humanité oscille décidement entre pénurie et malbouffe...


Allemagne, Famille Melander de Bargteheide, 375.39 Euros ou 500.07 $ / semaine


Etats-Unis, Famille Revis de Caroline du nord, 341.98 $ / semaine


Grande-Bretagne, Famille Bainton de Cllingbourne Ducis, 155.54 £ ou 253.15 $ /semaine


Egypte, Famille Ahmed du Caire, 387.85 livres égyptiennes ou 68.53 $


Chine, Famille Cui du village Weitaiwu, 57,27 $ /semaine


Equateur, Famille Ayme de Tingo, 31.55 $ / semaine


Tchad, Famille Aboubakar, réfugiés du Darfour, 685 Francs CFA ou 1.23$ / semaine


D’autres clichés sont à découvrir sur le site de Peter Menzel ou du Time. Vous pouvez également télécharger ce powerpoint qui circule sur le net.

mardi 29 janvier 2008

Serge Halimi, « Le grand bond en arrière », fayard, 2006

« Nous avons connu d’autres ambitions collectives que celle de punir les pauvres, d’autres définitions de la liberté que celle de choisir entre deux marques de produit. Cette utopie-là vaut bien celle des autres. Et c’est aussi grâce à elle que nous savons que nous ne sommes pas condamnés à vivre dans le monde où nous vivons. »

Si vous avez voté « Sarkozy » avec enthousiasme lors des dernières élections ou si vous pensez qu’il « invente » des solutions originales pour redresser le pays, passez votre chemin, ce livre n’est pas pour vous. Car si par malheur, vous y comprenez quelque chose, tous les confessionnaux du monde ne vous seront d’aucun secours. Pour tous les autres, ceux pour qui des mots comme « justice sociale » ou « solidarité » ont encore un sens mais qui ne comprennent plus la marche du monde et qui ne savent pas comment on a pu en arriver là –je sais que vous êtes nombreux- prenez le temps de lire ce livre. A défaut de pouvoir changer le monde, vous aurez au moins la satisfaction de savoir comment « l’ordre néolibéral » s’est largement imposé à nos sociétés en ce début de 21ème siècle : Pourquoi Lionel Jospin a t-il privatisé plus d’entreprises qu’aucun autre Premier Ministre en France ? Pourquoi les réformes les plus dures en Allemagne ont-elles été réalisées par les sociaux-démocrates ? Comment le socialiste français Pascal Lamy a-t-il pu diriger l’OMC, l’organisation mondiale la plus libérale qui soit ? Du coup, vous comprendrez aussi pourquoi des hommes « de gauche » apportent leur « crédit » au gouvernement de Sarkozy ou comment Dominique Strauss-Khan a pu être nommé à la tête du FMI avec la bénédiction du petit Nicolas. Sans oublier comment un traité constitutionnel pourtant rejeté par referendum est en passe d’être ratifié dans l’indifférence générale... Ce qu’il y a de formidable dans ce livre, c’est qu’il donne toutes les clefs nécessaires pour comprendre les mutations récentes de nos sociétés occidentales, toujours plus consuméristes, affairistes et d’une certaines manière autodestructrices.


Plus qu’un essai militant, Serge Halimi (1) a réalisé un véritable travail d’historien et nous livre ici un ouvrage très documenté. Ce pavé de 600 pages (vous êtes prévenus !) est l’histoire d’une trahison, celle de nos élites et de leur conversion au néolibéralisme. Elles ont réussi l’exploit (en une trentaine d’années tout de même) d’abattre l’ancien ordre keynésien et surtout de faire passer l’idéologie d’une classe (la leur, la classe possédante) pour le sens commun en organisant minutieusement l’impuissance publique. En un sens, la mondialisation est largement le résultat de cette gigantesque machination qui aboutit à la subordination (la soumission ?) de tous aux seuls intérêts des détenteurs de capitaux – cette surclasse mondiale qui considère le droit du travail comme une entrave à la liberté, l’éducation et la santé comme des dépenses inutiles.

« Très tôt, les think tanks néolibéraux ont consacré temps et énergie à la déréglementation des télécommunications. Eux voyaient loin. La structuration de l’information autour d’oligopoles privés gouvernés par leurs actionnaires allait accélérer la privatisation de la société tout entière. (…) L’information, comme la culture ou l’éducation, n’est qu’un produit vendu à des consommateurs sur un marché dans une optique de profit. Et la puissance de l’entreprise reflète l’appréciation du client. C’est ce que Thomas Frank appelle le « populisme de marché », cet étrange élixir qui permet à la droite américaine de stigmatiser comme « élitiste », voire antidémocratique, quiconque s’oppose à une multinationale, puisque la puissance de l’entreprise proviendrait des arbitrages du peuple en sa faveur. »


La démonstration de Serge Halimi est magistrale. Elle décortique les rouages de cette impitoyable machine de guerre idéologique - les stratégies, les moyens mis en oeuvre, les victoires. A la fin, on se sent faible et démuni face à un tel pouvoir. Et pourtant, nous devons garder espoir car il n’existe aucune loi naturelle qui régisse l’évolution des sociétés humaines, quoi qu’en disent les économistes. Il n’existe que des valeurs que nous décidons de défendre ou de renier. Le New Deal, le Front Populaire ou le Conseil National de la Résistance furent des périodes lumineuses. Aujourd’hui, le ciel s’est assombri. Mais gardons ceci en tête : tôt ou tard, même les ténèbres doivent passer... Les révolutions sont faites pour ça. Elles commencent dans les esprits. Aux livres, Citoyens !


Je n’ai qu’un conseil à vous donner : apprenez à penser contre les marchés (pensez au scandale de la Société Générale). C’est la clef. Les moins courageux trouveront ici une interview de Serge Halimi qui reprend les grandes lignes de son livre.


(1) Docteur en sciences politiques, Serge Halimi est journaliste au Monde diplomatique.

Le paradis des maîtres

« (…) nul polycentrisme ne va caractériser l’univers des nouveaux vainqueurs. Il n’y aura pas, par exemple, un eurocapitalisme social là où on avait imaginé un eurocommunisme démocratique. Mais un pays, irradiant tout l’Empire, lui inspirant sa langue, ses intérêts commerciaux, son droit, ses choix fiscaux, budgétaires et monétaires, sa structure inégalitaire. Une seule puissance, la plus riche et celle où les plus riches sont plus puissants qu’ailleurs, va se consacrer à accroître chez elle puis hors de ses frontières la fortune et la tranquillité des riches et des puissants. C’est-à-dire installer sur terre le paradis des maîtres (1).

On peut imaginer récit plus complexe. La « mondialisation », les « contraintes », les « droits de l’homme », la fin du « totalitarisme », l’individu « sujet », le « métissage », le « village global »… Mais il faut apprendre à se libérer de ces mots-valises trop souvent portés, trop lourds en même temps que trop vides. Car la mondialisation, c’est plutôt la conversion des élites économiques, administratives et politiques à un capitalisme déréglementé ; une baisse du coût des transports et des communications qui, de concert avec la généralisation de la micro-informatique, va faciliter les délocalisations déterminées par le rendement financier ; enfin la « chute du Mur », qui accélère la réunification du monde. Avec, à l’arrivée, une concurrence permanente, socialement ciblée, une course-poursuite universelle – et le revenu du 1% d’habitants le plus riche de la planète qui atteint celui des 57% les plus pauvres (2). La réunification du monde aurait pu se produire autrement. Au demeurant, elle ne s’est pas « produite » : elle a été construite. Par des hommes, par des politiques, qui ont créé les conditions de sa pérennité, détruisant les voies alternatives afin qu’il n’y ait plus d’alternative. »

Serge Halimi, « Le grand bon en arrière », fayard, 2006, p. 293-294.

(1) Expression de Noam Chomsky, in « Deux heures de lucidité », Les Arènes, Paris, 2001, p. 54.
(2) Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), Rapport mondial sur le développement humain 2002, De Boeck & Larcier, Bruxelles, 2002, p. 19.

Une leçon de libéralisme

« (…) la « progression logique » qui mène d’un système public et gratuit à une industrie largement privée et financée par des assurances (ou par des frais d’inscription dans le cas des universités) passe presque toujours par les mêmes étapes, en Nouvelle-Zélande et ailleurs. On commence par prétendre que le système centralisé ne marche pas, qu’il est bureaucratique, génère des gâchis. Il faut donc le décentraliser –« proximité » oblige-, abandonner aux régions la gestion de leurs budgets – là, on invoque la « responsabilité » locale-, créer un marché de l’éducation ou de la santé pour déterminer des prix qui vont permettre d’orienter et de contrôler la gestion. Ensuite, tantôt on ferme les hôpitaux (ou écoles, ou bureaux de poste) dont on a découvert qu’ils ne sont plus rentables, tantôt on noue des « partenariats » avec des entreprises locales, tantôt on revient sur la gratuité des soins ou des études, tantôt on délègue au secteur privé une part croissante du travail d’éducation ou de santé (on commence en général par le gardiennage, le nettoyage, la restauration). Le plus souvent, on entreprend les quatre réformes à la fois. »

Serge Halimi, « Le grand bon en arrière », fayard, 2006, p. 485.

Mondialisation et inégalités

Notre rêve : un monde sans pauvreté (Devise de la Banque mondiale)

« Quant aux inégalités, je crois qu’on est obligé de reconnaître qu’elles ont augmenté au cours des vingt dernières années dans le monde en développement comme dans la plupart des pays industrialisés. Et plusieurs études tendent à montrer que l’ouverture au commerce international a joué un rôle dans cette évolution. (…) La question des privatisations des infrastructures que la Banque a recommandées pendant une période doit être regardée d’un œil neuf. Car nous nous rendons compte qu’elles n’ont pas toujours été bénéfiques pour les populations. »

François Bourguignon, économiste en chef à la Banque Mondiale, préface in « Bilan du monde », édition 2004, p. 11., cité in Serge Halimi, « Le grand bon en arrière », fayard, 2006.

La fabrication de l’impuissance publique

En France, le mot libéralisme était imprononçable, alors on en a trouvé un autre, Europe. (Alain Touraine) (1)

« Le monétarisme, qui empêche les gouvernements de financer leurs dépenses en ayant recours à la planche à billets, et la baisse des impôts, qui oblige les Etats à réduire la voilure de leurs interventions, vont constituer les armes principales de cette contre-offensive intellectuelle. « Empêcher » et « obliger » ne sont pas des verbes anodins : les néolibéraux n’ont aucune confiance dans la capacité des partis traditionnels, à plus forte raison des fonctionnaires en place, d’interrompre la spirale qu’ils redoutent. Il s’agit donc bien de les obliger à intervenir ; et l’ensemble des politiques menées depuis les années 80 au nom de la « liberté » ont comporté leur lot de mesures coercitives. Au plan monétaire, c’est l’indépendance des banques centrales et, en Europe, la destruction des monnaies nationales. Au plan budgétaire, les critères de convergence qui menacent de lourdes pénalités financières les pays de l’Union européenne dont la politique de dépenses publiques serait jugée trop accommodante. Au plan commercial et industriel, ce sont les « rounds » d’ouverture des frontières nés de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) de 1947, la politique de la concurrence qui, sous astreinte d’amendes du GATT puis de l’OMC, mais aussi de la Commission de Bruxelles, interdit le contrôle des importations, les aides à l’exportation, le soutien de l’activité d’une entreprise en difficulté. Toute cette fabrication d’impuissance a exigé un travail acharné, une machinerie à la fois idéologique, politique, juridique et constitutionnelle. »

Serge Halimi, « Le grand bon en arrière », fayard, 2006, p. 216.


(1) cité p. 400.

Le marché s’installe partout

« Dans la compétition les opposant aux libéraux, les contestataires cumulent les handicaps. Un « troupeau électronique » d’investisseurs contourne le pouvoir des Etats. L’alternance politique détermine l’amplitude de la pente d’une même ligne. Le marché s’installe, y compris dans nos cerveaux, obligés de comparer en permanence les prix et les services : hier les forfaits de téléphones portables, demain les abonnements aux gaz, comme si notre intelligence du monde devait être absorbée par un buvard permanent de consommation permettant de rendre plus naturelle la transformation de l’univers en marchandise. Et puis il y a les écoles que l’on met en concurrence pour pouvoir orienter dès le plus jeune âge ses enfants vers les meilleurs lycées, qui eux-mêmes préparent aux meilleures universités. Sans oublier les hôpitaux, les villes, les régions que l’on classe pour apprendre comment échapper au destin perdant de qui ne privilégie pas à chaque instant son salut individuel. Diversions, palmarès, consommation, narcissisme : chaque fois la presse est là, comme elle était déjà aux fourneaux pour casser les syndicats, chanter « les réformes », héroïser les riches. »

Serge Halimi, « Le grand bon en arrière », fayard, 2006, p. 583-584.

jeudi 24 janvier 2008

"Le principe de Peter", Poche

Ce bouquin a beau dater de 1969, il n'a pas pris une ride. Il constitue toujours une excellente introduction à la « hiérarchologie », la science qui étudie la diffusion de l'incompétence dans une hiérarchie. L'énoncé du principe de Peter est simple : « Tout employé tend à s’élever à son niveau d'incompétence »… et à s’y maintenir ! Le corollaire de Peter précise en toute logique, qu’ « avec le temps, tout poste sera occupé par un employé incapable d’en assumer la responsabilité ».

A la lumière de ce principe, vous ne verrez plus votre chef de service ou vos collègues de bureau
de la même manière. Vous serez désormais à même de repérer du premier coup d’œil l’employé victime du syndrome du dernier poste et vous découvrirez peut-être les joies de l’incompétence créatrice, seule garante de l’épanouissement au travail. Véritable guide de survie en milieu hiérarchique, j’en conseille la lecture à tous, que vous travailliez en entreprise ou dans l’administration. Vous comprendrez pourquoi votre chef, un incompétent notoire, a pu s’élever aussi haut dans la hiérarchie de votre boîte. Ainsi parviendrez-vous peut-être à éviter l’ultime promotion qui vous élèvera fatalement à votre tour, à votre niveau d’incompétence…

mardi 22 janvier 2008

L'Utopie libérale

« Nous devons être en mesure de proposer un nouveau programme libéral qui fasse appel à l’imagination. Nous devons à nouveau faire de la construction d’une société libre une aventure intellectuelle, un acte de courage. Ce dont nous manquons, c’est une Utopie libérale, un programme qui ne serait ni une simple défense de l’ordre établi, ni une sorte de socialisme dilué. Mais un véritable radicalisme libéral qui n’épargne pas les susceptibilités des puissants (syndicats compris), qui ne soit pas trop sèchement pratique, et qui ne se confine pas à ce qui semble politiquement possible aujourd’hui. Nous avons besoins de leaders intellectuels, prêts à résister aux séductions du pouvoir et de la popularité, et qui soient prêts à travailler pour un idéal, quand bien même ses chances de réalisation seraient maigres. Ils doivent avoir des principes chevillés au corps, et se battre pour leur avènement même s’il semble lointain. Les négociations politiques : qu’ils les laissent aux hommes politiques ! Le libre-échange et la liberté d’entreprendre sont des idéaux qui peuvent encore éveiller l’imagination des foules. Mais un simple « libre-échange modéré » ou un « assouplissement des réglementations » ne sont ni respectables intellectuellement, ni susceptibles d’inspirer le moindre enthousiasme. La principale leçon qu’un libéral conséquent doit tirer du succès des socialistes est que c’est leur courage d’être utopiques qui leur a valu l’approbation des intellectuels ainsi que leur influence sur l’opinion publique, qui rend chaque jour possible ce qui, récemment encore, semblait irréalisable. Ceux qui se sont souciés exclusivement de ce qui semblait réalisable dans tel état de l’opinion se sont constamment rendu compte que tous leurs projets devenaient politiquement impossibles en raison de l’évolution d’une opinion publique qu’ils n’avaient rien fait pour guider. (…) Si nous retrouvons cette foi dans le pouvoir des idées qui fut la force du libéralisme dans sa grande époque, la bataille n’est pas perdue. »

Friedrich Hayek (fondateur de la Société du Mont Pèlerin), 1949
cité in Serge Halimi, « Le grand bon en arrière », fayard, 2006, p. 586.

dimanche 20 janvier 2008

Une époque formidable

« L’usine, nous dit-on, doit dégager un profit, faute de quoi les actionnaires protesteront. Houspillé par son conseil d’administration, le patron va alors morigéner le contremaître, qui se retournera contre ses ouvriers. Il est long, ce fouet dont l’extrémité strie le dos des enfants. Doit-on encore s’étonner que les actions des usines de coton rapportent 25%, 35%, voire 50% par an ? Oui, mes maîtres, cela paie de moudre le dos des petits en poudre de dividende. « Enlevez-nous le travail des enfants et nous irons ailleurs » est la menace habituelle des propriétaires d’usine et de leurs lobbyistes dans les couloirs des parlements. Et, hélas ! nous vivons dans une civilisation où ce genre de chantage porte. »

Edwin Markham (1) , « The hoe-man in the making », Cosmopolitan, septembre 1906, cité in Serge Halimi, Le grand bond en arrière, fayard, 2006, p. 390.

(1) Edwin Markham était maître d’école, poète et journaliste.