jeudi 18 octobre 2007

Se poser les bonnes questions

Aujourd’hui, journée de grève nationale. Ce sont principalement les cheminots qui bloquent le pays pour sauver ce qui peut l’être de leur régime de retraite. Comme les fonctionnaires en 2003 et comme beaucoup en 95 d’ailleurs... Mais la réforme est plus large puisqu’elle concerne plus d'une centaine de régimes spéciaux à l’exception sûrement de celui des parlementaires... Comme c’est compliqué, on livrera en pâture à l’opinion les cheminots et on s’appuiera sur leur cas particulier –par tous les médias interposés- pour démontrer le bien-fondé de la démarche générale. Le pire, c’est que cela fonctionne. Après les réformes du régime général et celle du régime des fonctionnaires, l’opinion considèrent dorénavant les bénéficiaires de régimes spéciaux comme des « privilégiés animés de revendications purement corporatistes ». Ce n’était pas le cas, il y a peu. Bref, l’opinion rabâche la presse. La messe est dite. Logique imparable, vous en conviendrez, puisqu’une fois que tout le monde a reculé, ceux qui résistent encore sont jalousés, enviés, montrés du doigt etc... C’est comme ça, on n'y peut rien, les foules aiment les boucs émissaires. Ce qu’on oublie dans l’histoire, c’est qu’une fois cette affaire réglée, on pourra remettre le couvert, puis s’attaquer de nouveau au régime général puis aux fonctionnaires et ainsi de suite car d'évidence, rien n'est réglé. En outre, le débat est biaisé depuis le début par des gouvernements qui prennent soin de tronçonner leurs réformes pour mieux invoquer l’équité par la suite. Ce qui empêche de se poser la bonne question. Au lieu de se demander pourquoi ILS travaillent moins, il faudrait plutôt se demander pourquoi NOUS travaillons plus. Quant à l’opinion, il faudrait lui enseigner tout le sens que le terme « privilégiés » revêtait pour les révolutionnaires de la nuit du 4 août. S’ils revenaient parmi nous, je doute qu’ils voient les « privilèges » où l’opinion les cherche aujourd’hui. Enfin peu importe, trente années de pensée unique sont passées par là. Ce n’est pas moi qui vais réussir à ébranler les convictions du mouton heureux de se faire tondre.

J’espère que cette mobilisation sera un succès malgré l’annonce du divorce des Sarkozy qui ne manquera pas d’éclipser les manifestants venus battre le pavé -Remarquez, il nous avait promis la rupture, on l’a ! - Parce que j’en ai assez de ces politiques qui nous montent les uns contre les autres. Le « diviser pour mieux régner» a atteint un degré d’efficacité redoutable de nos jours. Les salariés du bas de l’échelle en sont réduits à se battre comme des chiffonniers parce qu’on leur fait croire qu’ils faut encore « faire des efforts » pour sauver notre « modèle social ». Non seulement c’est toujours aux mêmes que l’on demande des efforts (15 milliards de cadeaux fiscaux aux plus riches, dois-je le rappeler) mais surtout cela fait belle lurette que la fin de notre fameux modèle social est programmée et sa faillite minutieusement organisée. En matière de retraites, il est clair que le système par répartition sera bientôt remplacé par un système par capitalisation, bien plus lucratif pour les institutions financières.

Ce qui me désole, c’est que des efforts de ce type concernant TOUTE la société seraient tout à fait légitimes si notre pays s'était appauvri lors des dernières décennies. Or il n’en est rien. Etat endetté n'est pas synonyme de pays pauvre. Année après année, et quoi qu’on en dise, ce pays produit plus de richesses. La productivité bat des records. Combien de fois la France est-elle plus riche que dans les années 50 ? 2 fois, 4 fois plus riche ? Le solde de la croissance n’est-il pas largement positif par rapport à la situation d’il y a 60 ans ? Et ce pays ne pourrait plus se permettre de financer son système de retraite ou sa sécurité sociale ? Comment ne pas voir qu’au nom de la suppression des prétendus privilèges des salariés les mieux protégés, on veut accroître ceux des possédants ? Si la France a un problème, ce n’est pas celui du financement des retraites, c’est celui de la répartition des richesses. « Toujours moins aux salariés, toujours plus aux rentiers » devrait remplacer notre devise nationale, devenue indigne d’un pays comme la France.

Pour conclure, je laisse la parole à Denis Kessler, ancien vice-président du Medef, qui livre son analyse sur les réformes actuelles dans un article de Challenge daté du 4 octobre 2007 :

« Les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d'importance inégale, et de portées diverses : statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la Sécurité sociale, paritarisme...

A y regarder de plus près, on constate qu'il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C'est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s'agit aujourd'hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! »

Longue vie aux privilégiés ! Amen.