« (…) nul polycentrisme ne va caractériser l’univers des nouveaux vainqueurs. Il n’y aura pas, par exemple, un eurocapitalisme social là où on avait imaginé un eurocommunisme démocratique. Mais un pays, irradiant tout l’Empire, lui inspirant sa langue, ses intérêts commerciaux, son droit, ses choix fiscaux, budgétaires et monétaires, sa structure inégalitaire. Une seule puissance, la plus riche et celle où les plus riches sont plus puissants qu’ailleurs, va se consacrer à accroître chez elle puis hors de ses frontières la fortune et la tranquillité des riches et des puissants. C’est-à-dire installer sur terre le paradis des maîtres (1).
On peut imaginer récit plus complexe. La « mondialisation », les « contraintes », les « droits de l’homme », la fin du « totalitarisme », l’individu « sujet », le « métissage », le « village global »… Mais il faut apprendre à se libérer de ces mots-valises trop souvent portés, trop lourds en même temps que trop vides. Car la mondialisation, c’est plutôt la conversion des élites économiques, administratives et politiques à un capitalisme déréglementé ; une baisse du coût des transports et des communications qui, de concert avec la généralisation de la micro-informatique, va faciliter les délocalisations déterminées par le rendement financier ; enfin la « chute du Mur », qui accélère la réunification du monde. Avec, à l’arrivée, une concurrence permanente, socialement ciblée, une course-poursuite universelle – et le revenu du 1% d’habitants le plus riche de la planète qui atteint celui des 57% les plus pauvres (2). La réunification du monde aurait pu se produire autrement. Au demeurant, elle ne s’est pas « produite » : elle a été construite. Par des hommes, par des politiques, qui ont créé les conditions de sa pérennité, détruisant les voies alternatives afin qu’il n’y ait plus d’alternative. »
Serge Halimi, « Le grand bon en arrière », fayard, 2006, p. 293-294.
(1) Expression de Noam Chomsky, in « Deux heures de lucidité », Les Arènes, Paris, 2001, p. 54.
(2) Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), Rapport mondial sur le développement humain 2002, De Boeck & Larcier, Bruxelles, 2002, p. 19.
mardi 29 janvier 2008
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